Le Bangladesh
Juste avant d'atterrir, c'est la première image que l'on découvre du Bangladesh. Tout autour de l'aéroport, le ciel se reflète dans les miroirs des rizières inondées. Partout de l'eau. Puis en sortant de l'aérogare, on rentre dans un four de chaleur humide. De l'autre côté des grilles, la foule des porteurs et des vendeurs en tout genre attend les voyageurs.
Après Dhaka et ses embouteillages, la campagne frappe par sa beauté, l'abondance des arbres, des fleurs, des fruits. Dans les villages, assis sur une natte ou sur l'unique chaise de votre hôte, on vous offre un verre d'eau et du riz soufflé. Dans un coin de la cour, un homme fait sa prière, totalement concentré comme si vous n'étiez pas là. La lumière est dorée. Une jeune femme chante d'une voix très pure. Impossible d'oublier la beauté de cet endroit.
Le Bangladesh est un pays jeune puisqu'il est né en 1971. Son nom signifie "le pays du Bengale", ce qui dit bien que la culture bengalie est pour ses fondateurs le cœur de son identité.
En 1947 pourtant, la partie Est, majoritairement musulmane, du Bengale, avait été rattachée au Pakistan, et avait pris ensuite le nom de Pakistan oriental. Les deux parties du Pakistan, situées de part et d'autre de l'Inde, étaient séparées par 1600 kilomètres. Les Pakistanais de l'Ouest considéraient avec mépris les Bengalis, plus pauvres et dont l'islam était beaucoup plus tolérant. Ils voulurent donc garder tout le pouvoir pour eux, et imposer leur langue, l'ourdou, comme seule langue officielle. Des manifestations pour que la langue bengalie soit également langue officielle furent réprimées dans le sang. Et tous les postes importants continuèrent à être occupés par des Pakistanais de l'Ouest.
Le début des années 1970 fut terrible.
En 1970, un cyclone fit 500 000 morts au Pakistan oriental, et les autorités pakistanaises ne se montrèrent pas à la hauteur pour organiser les secours.
En décembre 1970, des élections furent organisées pour élire une assemblée au niveau du Pakistan oriental. Elles donnèrent la victoire à la ligue Awami qui luttait depuis longtemps pour les droits des Bengalis. Les dirigeants du Pakistan refusèrent ce résultat, emprisonnèrent Mujibur Rahman qui dirigeait la ligue Awami, et finalement attaquèrent le Pakistan oriental. Ils massacrèrent de très nombreux civils, en particulier les élites intellectuelles et les hindous, provoquant un exode vers l'Inde. Entre 300 000 et 3 millions de Bengalis de l'Est perdirent la vie. Dix millions se réfugièrent à Calcutta.
Finalement l'opération militaire du Pakistan occidental échoua face à la résistance des Bengalis, mais surtout en raison de l'intervention de l'armée indienne en décembre 1971.
Mujibur Rahman fut le premier dirigeant du Bangladesh indépendant, mais il fut assassiné.
Depuis de nombreuses années, deux femmes, "la veuve" et "l'orpheline", se disputent le pouvoir. Sheikh Hasina est la fille de Mujibur Rhaman, et dirige la ligue Awami. Khaleda Zia, qui a fondé le Bangladesh Nationalist Party (BNP), était l'épouse de l'un des premiers présidents du Bangladesh indépendant Ziaur Rahman, assassiné lui aussi.
La ligue Awami a très largement remporté les dernières élections, fin 2008. Deux ans de gouvernement intérimaire avaient auparavant permis d'établir pour la première fois des listes électorales dignes de ce nom. L'agitation politique, qui ne cessait pas depuis des années puisque chaque parti contestait immédiatement ses défaites et bloquait le pays, devrait donc être moins forte désormais.
La faiblesse du pouvoir politique, sa corruption, son incapacité à mettre en place des services publics efficaces, sont un des grands problèmes du Bangladesh. Face à cette défaillance de l'Etat, de très nombreuses ONG, souvent des petites ONG bangladeshie, éventuellement soutenues par des partenaires étrangers, jouent un grand rôle dans les domaines de la santé, de l'éducation, voire dans l'économie. Ainsi de nombreux abris anticyclone ont été construits par des ONG le long des côtes bangladeshies, ce qui permet désormais d'éviter que les grands cyclones fassent des centaines de milliers de victimes, comme en 1970 ou en 1991.
Mais le Bangladesh reste très vulnérable face aux catastrophes naturelles. Les cyclones font moins de victimes mais détruisent les maisons, les cultures et les bateaux. Les inondations laissent de nombreux sans-abris. Et la montée du niveau de la mer, à la suite du réchauffement climatique, risque d'être catastrophique pour ce pays essentiellement constitué d'un grand delta. Les trois grands fleuves (Gange, Brahmapoutre et Meghna) entrent au Bangladesh à 22 mètres d'altitude. Ils parcourent ensuite 450 km en s'étalant sur une grande partie du pays du fait de l'absence de pente.
Aujourd'hui l'un des pays très pauvres de la planète, le Bangladesh est pourtant un région extrêmement fertile, dont les terres peuvent fournir du travail et du riz à une population nombreuse. Aujourd'hui c'est l'un des pays les plus densément peuplés du monde, avec 1045 habitants au kilomètre carré en moyenne. La population du pays est passée d'une cinquantaine de millions d'habitants au début des années 1960, à environ 150 millions aujourd'hui, ce qui en fait le septième pays le plus peuplé au monde. Dans les années 60 et 70, les femmes avaient en moyenne plus de six enfants, contre trois aujourd'hui.
Jusque dans les années 1970, le jute était la grande culture d'exportation du Bangladesh. Puis les fibres synthétiques ont pris la place du jute sur le marché mondial. Au Bangladesh les principaux produits d'exportation sont maintenant les vêtements produits par des ouvrières peu payées. Les entreprises de confection appartiennent généralement à des Bangladeshis, et travaillent en sous-traitance pour des marques occidentales. Certaines sont installées dans des zones économiques spécialement dédiées à l'exportation, où l'activité syndicale est limitée
Mais l'agriculture fait encore vivre un travailleur sur deux. Trois Bangladeshis sur quatre vivent en zone rurale.
Soixante pour cent des agriculteurs ne possèdent pas de terre. Ils cultivent les terres des autres en métayage. Les métayers doivent payer tous les frais liés à la culture et une partie des frais d'irrigation. Ils reçoivent au final environ 40% de la récolte totale.
Dix pour cent des agriculteurs possèdent 50% des terres.
Entre l'extrême précarité de la vie de beaucoup de ses habitants, et la splendeur de son delta fertile, le Bangladesh est un pays important et trop peu ou trop mal connu.
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